Source photo : https://www.flickr.com/photos/jonasb/
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L’affaire est maintenant entendue, le disque vinyle n’est pas mort et il ne s’est même jamais aussi bien porté … depuis 1990. On assiste effectivement depuis quelques années à une augmentation régulière des ventes du disque noir ; que ce soit aux USA mais également en France.

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Source : http://www.digitalmusicnews.com/2015/01/20/vinyl-comeback-really-looks-like/

Des événements, comme le Disquaire Day, accompagnent cette renaissance. La société Rebeat annonce pour dans 2 ou 3 ans un vinyle Haute Définition gravé par rayon laser. J’ai même vu récemment au magasin Cultura de Saint-Malo un disque vinyle 45 tours (7 inches) en nouveauté. C’est la première fois que j’en vois un en nouveauté depuis des années. Normalement, il n’existe plus aucune presse 45 tours en France (à moins qu’une société n’en ait acquise une récemment – forcément d’occasion). Nostalgie de la part de ceux et celles dont la jeunesse a été accompagnée par ce support ? Que nenni, la moitié des acheteurs de vinyles aux USA a moins de 25 ans.

image009Source : http://www.cnbc.com/2015/11/06/why-millennials-are-buying-more-vinyl-records.html

En 1983, lors de la commercialisation du CD-Audio en France, la disparition du vinyle avait pourtant été annoncée par certains.


http://www.ina.fr/video/CAB8301066601/disque-numerique-video.html

Il fallait faire place à la modernité. Les représentants de l’ancien monde devait disparaître. Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Pourquoi ?

Cette non-disparition du disque vinyle n’est en fait pas étonnante si on utilise le modèle de l’impact sensitif. Modèle sur lequel je reviendrai plus longuement dans un prochain billet. Pour résumer à l’extrême, l’innovation technologique (numérisation et réseau) permet une plus grande diffusion de toutes les informations (y compris les œuvres artistiques dont la musique). En contrepartie, on s’éloigne de la situation originelle de rencontre entre la personne et l’œuvre. Dans le cas de la musique, cette situation originelle est le concert qui, tout le monde l’aura remarqué, n’a pas disparu. C’est la situation de plus grand impact sensitif parce qu’il s’agit d’une immersion totale où quasiment tous les sens sont impactés : la vision, l’audition mais également le toucher. Les récepteurs sensoriels du toucher réagissent de façon optimale aux vibrations autour de 300 Hertz. C’est la fréquence fondamentale d’un ré 3 (en fait 293,66 Hertz).

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En élargissant encore plus le schéma, ce que nous apporte tout cet environnement technologique c’est fondamentalement l’aspect pratique. C’est-à-dire la plupart du temps un outil que l’on pourrait exprimer par une solution automatique impliquant moins d’effort physique et intellectuel souvent médié par un objet physique : smartphone, tablette, GPS, enceinte Bluetooth, etc.

Mais il y a un prix à payer et si on gagne en aspect pratique, on perd quelque chose. Et ce qu’on perd, c’est une expérience globale qui se traduit en partie par l’impact sensitif. Or chaque expérience nous enrichit car notre cerveau crée à cette occasion de nouvelles connexions entre neurones, en suppriment ou renforcent d’anciennes. Plus l’expérience est globale plus elle nous enrichit.

Il ne s’agit pas de dire que la technologie c’est bien ou c’est mal. Il y a un côté très bénéfique puisque c’est pratique. Pratique, par exemple, d’accéder sur le web (et de pouvoir la télécharger) à la première partition imprimée de l’histoire : Ottaviano dei Pretucci en 1501 à Venise.

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Source Harmonice musices odhecaton : http://imslp.org/wiki/Harmonice_Musices_Odhecaton_(Various)

Imaginez comment avant 1994, année d’ouverture du web au grand public en France, vous auriez pu accéder à ce document.

Il faut juste remarquer que l’innovation technologique change les équilibres pour en créer de nouveau. Les nouveaux moyens de diffusion ne se substituent pas aux précédents, ils prennent une place plus ou moins importante à côté des anciens. C’est à chacun d’arbitrer, de faire de choix parmi les différentes possibilités. Ce n’est donc pas une surprise en définitive que le vinyle n’ait pas disparu et qu’il ne disparaitra pas. (idem pour le CD-Audio). La surprise c’est plutôt le temps qu’il aura fallu pour retrouver un équilibre. Éternel problème du balancier, de son inertie et de son retour. La part de vinyle n’aurait jamais dû descendre aussi bas mais elle l’a fait. Elle est maintenant en pleine expansion et peut être trop car le vinyle ne sera, et pour toujours, qu’un marché de niche (pas assez pratique). Quel sera l’équilibre entre les différents moyens de diffusion de la musique enregistrée : supports physiques (vinyle, CD-Audio, SACD, Bluray Pure Audio) et en ligne (téléchargement, flux) ? C’est ce que nous expérimentons chaque jour et pour l’instant les lignes d’équilibres changent sans arrêter.

Pour terminer, je vous propose deux témoignages qui m’ont incité à écrire ce billet. Il s’agit de deux jeunes qui utilisent le vinyle. Ces témoignages sont un bon résumé, avec leurs mots à eux, de ce que j’ai dit plus haut.

Alex (16 ans, père chanteur/musicien) a demandé un disque vinyle pour son anniversaire. Pas n’importe lequel : Nevermind de Nirvana.

En gros, la musique est plus ressentie pour ma part sur un vinyle. En effet, entre le moment où l’on dépose délicatement le vinyle sur son lecteur et où la musique commence, je suis toujours étonné par ce son qui ressort et il n’est jamais le même. En plus de cela, un vinyle çà fait classe : c’est plus ancien et contrairement aux MP3 ou aux CD, les vinyles ne peuvent s’écouter partout. Ainsi lorsqu’on écoute un vinyle, on déguste et on profite de la musique. (NdR : ce n’est clairement pas pratique mais c’est une expérience unique).

Timothée, étudiant école ESRA Rennes, section ISTS 2 (technicien du son)

Moi-même j’ai grand plaisir à aller chez le disquaire […] acheter un vinyle, sentir l’odeur du neuf, enlever sa pochette antistatique et écouter le son chaud de ce support encore immaculé. J’aime regarder sa pochette, savoir que mon argent dépensé va récompenser le travail des artistes, et surtout, profiter de la cohérence indéniable des pistes qu’offre un album, du voyage qu’il procure.

Ils ont parfaitement conscience de l’expérience sensorielle particulière voire unique que revêt l’utilisation d’un disque vinyle donc de son impact sensitif (mais ils ne l’expriment pas en ces termes). C’est rassurant.