La « biblio » avant la « disco »

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Pour qu’apparaissent les premières « bibliothèques », il fallait au préalable l’invention de l’écriture. Celle-ci est inventée de façon indépendante dans plusieurs endroits de la planète : en Mésopotamie (environ 3 500 ans avant J.-C.), en Égypte (pratiquement en même temps), plus tard en Chine (1 300 ans avant J.-C.) [1] et encore plus tard dans le Yucatan (300 ans avant J.-C.) [2].

Les premières bibliothèques [3] pouvaient alors voir le jour, d’abord logiquement en Mésopotamie où le support d’écriture étaient des tablettes d’argile. Ensuite en Égypte où les scribes égyptiens utilisaient des rouleaux de papyrus. On pense tout de suite à la bibliothèque d’Alexandrie. Le mot bibliothèque vient du latin bibliotheca emprunté, comme souvent, au grec bibliothêkê (βιβλιοθήκη) que l‘on peut décomposer en deux parties.

Première partie : βίβλος, biblos que l’on traduit par livre ou rouleau est en fait plutôt le support sur lequel on peut écrire, mais aussi la Bible. Très proche, βίθλος [4], bithlos désigne l’écorce intérieure ou moelle du papyrus sur laquelle on pourra écrire.

Deuxième partie : le suffixe -thèque est encore une fois emprunté au grec θήκη, thêkê (« étui, boîte, caisse »). Il permet de composer des mots signifiant des rangements. Le site du gouvernement du Canada donne de nombreux exemples de mots construits avec ce suffixe :

Le suffixe -thèque, qui a en grec le sens de « réceptacle, armoire, lieu où est déposé quelque chose », a servi à la construction de néologismes désignant divers lieux abritant des collections :

  • audiovidéothèque (documents audiovisuels) ;
  • cartothèque (cartes géographiques) ;
  • cinémathèque (films) ;
  • discothèque (collection de disques) ;
  • iconothèque (images et reproductions de tableaux) ;
  • ludothèque (jouets) ;
  • magnétothèque (livres enregistrés sur bandes magnétiques) ;
  • musicothèque (partitions musicales, musique enregistrée) ;
  • photothèque (documents photographiques) ;
  • pinacothèque (certains musées de peinture) ;
  • sonothèque (enregistrements sonores) [5].

On trouve donc dans cette liste le mot discothèque et on pourrait ajouter : phonothèque, médiathèque, filmothèque, grainothèque, etc.

Le disque avant la « disco »

Le disque se lance

Si le mot bibliothèque est donc connu et utilisé depuis l’Antiquité, ce n’est pas le cas du mot discothèque et pour cause. La 9e édition du Dictionnaire de l’Académie française [6], nous propose la définition suivante :

 

DISCOTHÈQUE, nom féminin, xxe siècle. Composé de disque et de ‑thèque, sur le modèle de bibliothèque.

L’origine est donc beaucoup plus récente (20e siècle). Sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL [7]), on trouve les définitions suivantes :

DISCOTHÈQUE, subst. fém.

A.− Salle, bâtiment où sont classés et conservés des disques que le public peut venir écouter, sous certaines conditions. Dans bien des villes de France, les bibliothèques municipales se sont adjoint une discothèque où l’on peut venir entendre des disques (Disque en Fr.,1963, p. 19).

− P. ext. Organisme chargé du prêt de disques. La grande innovation de ces dernières années est la création de discothèques de prêt, appelées à prendre un très grand essor (Disque en Fr.,1963p. 20).

− P. méton.

♦ Collection de disques d’enregistrement. Aujourd’hui il existe dans les grands centres, un service des émissions enregistrées − avec une copieuse discothèque (Matras, Radiodiff. et télév.,1958, p. 42).

♦ Meuble destiné au rangement et au classement des disques. Elle s’agenouilla devant la discothèque et se mit à déranger les disques (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 545).

− P. métaph. :

  1. Rezeau lisait beaucoup, non des romans, mais des ouvrages scientifiques. Son érudition, servie par une prodigieuse mémoire, ouvrait au hasard ce que Frédie appellera plus tard « la discothèque du vieux ». Certains disques revenaient souvent. D’autres, les plus intéressants généralement, ne se sont fait entendre qu’une ou deux fois. H. Bazin, Vipère au poing,1948, p. 109.

B.− Établissement où l’on se rend le soir pour écouter des disques, de musique moderne en général, danser et boire. Elle (…) déjeunait au cinéma et, la nuit, buvait du whisky dans une discothèque (L. de Vilmorin, Lettre ds taxi,1958, p. 29).

Rem. Le subst. dér. masc. discothécaire est attesté ds Gilb. 1971, au sens de « personne qui dirige une discothèque de prêt », ainsi que ds Mét. 1955 et Neyron 1970.

Prononc. : [diskɔtεk]. Étymol. et Hist. 1928 13 nov. (Le Figaro in Nyrop, Études de gram. fr., 29, 12 ds Quem. Fichier). Composé des éléments préf. disco-* et suff. -thèque*. Fréq. abs. littér. : 4.

C’est l’étymologie qui nous intéresse ici avec l’apparition du mot disque. Allons voir encore chez les Grecs. Le premier usage du mot disque est sans contexte :

Dans l’antiquité grecque, lourd palet, souvent en métal, quelquefois en bois, que lançaient les athlètes [8],[9].

Le disque est donc lié aux athlètes et au sport (même si la notion moderne du sport n’est pas connue par les Grecs). L’illustration la plus connue est la statue romaine en marbre Discobole Lancellotti qui date du IIe siècle après J.-C.. Elle-même reproduction de l’œuvre disparue du sculpteur grecque Myron.

Discobolus_in_National_Roman_Museum_Palazzo_Massimo_alle_Terme

Le disque s’écoute

gramophone

Le mot disque va connaitre un nouvel essor avec l’avènement de l’enregistrement phonographique. En décembre 1877, Thomas Edison crée le phonographe, premier appareil permettant de fixer des sons sur un support et de les réécouter. Mais le support utilisé par Edison est dans un premier temps une feuille d’étain (tin foil) qui entoure un cylindre, pour être bientôt remplacer par un cylindre de cire.

Emile Berliner fait breveter le 28 juillet 1886 sa propre invention appelée gramophone. La différence avec le phonographe d’Edison ? Le support utilisé est un disque (appelé ainsi à cause de sa forme).

Et voilà, l’enregistrement sur disque est lancé. Mais pour l’instant pas de mot « discothèque ».

https://patents.google.com/patent/US372786A/en

 

 

Notes

[1] https://essentiels.bnf.fr/fr/livres-et-ecritures/les-systemes-ecriture/6379b88d-1e32-4b6a-a58c-3697be7695af-ecritures-monde-sinise/article/6bd63a2a-bcb4-44ba-827a-ab01b88c2d90-origine-ecriture-chine-apres-archeologie

[2] GLASSNER, Jean-Jacques. 4.– L’invention de l’écriture In : L’archéologie cognitive [en ligne]. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2011 (généré le 21 janvier 2024). Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/editionsmsh/14548

[3] JACOB Christian, « Bibliothèques antiques », Humanisme, 2018/3 (N° 320), p. 38-43. DOI : 10.3917/huma.320.0038. URL : https://www.cairn.info/revue-humanisme-2018-3-page-38.htm et NimRoD: De Nimrud à Rome, Découverte des bibliothèques antiques : https://nimrod.hypotheses.org/968 et http://nimrod.huma-num.fr/

[4] ] Anatole Bailly, Dictionnaire Grec – Français, Hachette, 1935, p. 359 – https://archive.org/details/BaillyDictionnaireGrecFrancais/page/358/mode/2up

[5] https://www.noslangues-ourlanguages.gc.ca/fr/cles-de-la-redaction/-theque.html

[6] https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9D2660

[7] https://www.cnrtl.fr/definition/discoth%C3%A8que

[8] https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9D2739

[9] Voir aussi, Anatole Bailly, Dictionnaire Grec – Français, Hachette, 1935, p. 521 – https://archive.org/details/BaillyDictionnaireGrecFrancais/page/521/mode/2up

 

Belle exposition en ligne : For the record: Emil Berliner and the gramophone – Museum for Communication Nuremberg, Museum Foundation Post and Telecommunication

https://artsandculture.google.com/story/for-the-record-emil-berliner-and-the-gramophone/awUBd0WvqVFpLg