La musique enregistrée

La fixation de la musique sur un support va introduire de nouvelles perspectives concernant la dynamique. Pas toujours pour le meilleur comme nous allons le voir.

Après avoir illustrée, la dynamique des instruments acoustiques, abordons la dynamique « admissible » des supports de la musique enregistrée. Voici un point assez mal connu du grand public mais chaque support possède des caractéristiques spécifiques de dynamique qui vont imposer certaines contraintes techniques.

 


L’enregistrement magnétique

L’enregistrement sur bande magnétique commence à se répandre aux États-Unis dans les studios essentiellement à partir du début des années 50. Toute l’industrie américaine de l’enregistrement magnétique sur magnétophones provient de deux appareils « volés » par Jack Mullin en 1945. C’est une très étrange histoire sur laquelle je reviendrai peut être dans un futur billet.

Dans les années 50, donc, les artistes jouent en studio. Leurs prestations/performances sont fixées sur une bande magnétique : c’est la bande « master ». Pour simplifier à l’extrême, la dynamique admissible sur un bon magnétophone analogique à bandes, bien réglé et sans réducteur de bruit, est de l’ordre de 65 dB. En fait, cela peut varier en fonction de plusieurs paramètres : la vitesse d’enregistrement, la largeur de la bande, l’épaisseur de la bande, etc.

La dynamique « admissible » sur ces magnétophones est donc inférieure à la dynamique possible ou potentielle d’un orchestre symphonique comme nous l’avons déjà vu. Il faut donc déjà en amont compresser le signal provenant des microphones pour le fixer sur la bande magnétique.

Mais le plus délicat est à venir.

 


Le disque vinyle

Une fois la bande « master » réalisée, il faut graver un « master record  » (« flan » en français). C’est l’étape de « masterisation ». Ce  » master record » ou flan sera, après quelques étapes de galvanoplastie, à l’origine de tous les vinyles pressés. Le problème essentiel réside dans cette « masterisation », ce passage du signal de la bande sur le flan, car la dynamique « admissible » sur un vinyle est plus faible que celle d’un magnétophone analogique à bandes. En moyenne, elle est de 50 dB. [1] C’est un chiffre discutable car très variable.

La dynamique admissible sur un vinyle va, par exemple, dépendre de la durée de musique enregistrée sur chaque face. On rappellera qu’il n’y a qu’un seul sillon par face. Si la durée de musique est longue, supérieure à vingt minutes, il faudra réduire la largeur du sillon pour faire tenir toute la musique sur la face et donc réduire la dynamique.

Le contenu en fréquences basses est également important.

La dynamique varie aussi avec la vitesse de lecture des vinyles : 33 t ou 45 t. Elle sera plus importante sur un 45 tours surtout si la durée de musique est courte.

Il est alors facile de comprendre l’intérêt, pour la musique disco des années 70 et ensuite pour les musiques électroniques, d’utiliser le format maxi vinyle, soit 30 cm de diamètre mais à la vitesse de 45 tours à la place de 33 tours avec une durée courte (environ 6 minutes par face). La dynamique est bien supérieure à celle d’un 33 tours avec 25 minutes par face.

Pour l’exprimer autrement, si on ne compresse pas donc si on ne réduit pas la dynamique sur un vinyle, un endroit du sillon correspondant à un son fort et/ou grave serait tellement large que la tête de lecture ne pourrait plus suivre le sillon. A l’inverse, un endroit du sillon correspondant à un son très faible (et très aigüe) serait tellement fin que sa largeur serait inférieure au diamètre des particules composant la matière vinyle. C’est la raison pour laquelle en plus de la compression on applique une correction sur les fréquences (appelée courbe RIAA) qui consiste à diminuer le niveau des basses et à augmenter le niveau des aigües. On fait l’inverse à la lecture mais restons-en à la compression.

Le problème de base est donc celui ci :
pour passer le phonogramme (enregistrement) du support bande magnétique analogique au support vinyle, vous devez compresser c’est à dire de réduire la dynamique. Vous n’avez pas le choix.

 


Totale confusion

Ce premier fait explique la plupart des confusions sur ce sujet. Il existe un deuxième fait que nous verrons plus tard et qui concerne la « masterisation » des CD.

Cette confusion est largement répandue puisque l’article « Enregistrement sonore » de Wikipédia France la relayait en 2009. On y trouve ces valeurs de dynamique :

  • Disque vinyle : 65 dB
  • Bande magnétique : 55 dB

Elles sembleraient indiquer que la dynamique est plus importante sur un vinyle que sur une bande magnétique, c’est globalement faux comme nous venons de la voir. Si c’était vrai, nul besoin de compression à l’étape de la « masterisation ». Il n’en est rien. Les valeurs ont été changées depuis sur Wikipédia.

Attention, ces valeurs sont très variables, un magnétophone à cassette de bas de gamme aurait effectivement une dynamique de 55 dB voire moins.

Vous comprenez sans doute mieux à présent les enjeux et la raison de cette série de billets. Je reviendrai sur des exemples concrets de confusion dans le billet de conclusion.

 


Supports numériques

Une des caractéristiques des supports numériques est que la dynamique est fixée dans le cahier des charges et n’est pas variable comme dans le cas du vinyle ou des magnétophones analogiques.

Pour un CD-Audio, la dynamique admissible est par construction 96 dB (en fait 16 fois 6 dB). C’est une valeur théorique, concrètement la valeur réelle est plutôt 90 dB.Vous pourriez vous dire, 50 db pour le vinyle, 90 dB pour le CD ce n’est jamais que le (presque) double. Que nenni. Le décibel est une échelle logarithmique. Pour simplifier, on double le niveau d’intensité sonore à chaque fois que l’on augmente de 10 dB. Le double de 50 dB est donc 60 dB, 70 dB est donc le double de 60 dB, 80 dB est le double de 70 dB, etc. Si vous poursuivez le calcul, vous remarquerez que 90 dB c’est environ 16 plus fort en niveau d’intensité sonore que 50 dB. Comme on le voit sur ce seul aspect dynamique, il n’y a pas « photo » entre le vinyle et le CD-Audio mais ce n’est pas le seul aspect.

Une interprétation de la 9e symphonie de Beethoven qui atteint les 100 dB aura donc besoin d’être compressé (beaucoup) pour être gravée sur un vinyle mais très peu sur un CD-Audio. Le SACD (Super Audio Compact Disc) propose par construction 120 dB de dynamique ce qui permet de ne pas appliquer de compression et donc de respecter scrupuleusement la dynamique originale mais comme on le sait cet argument n’a pas été suffisant pour en faire un succès commercial.

Par contre, pas besoin de compression sur un CD-Audio pour des sonates de Scarlatti interprétées au clavecin ou pour l’enregistrement de Pierre Hantaï du précédent billet, la dynamique de l’instrument est inférieure à celle « admissible » par le support.

Certaines musiques, essentiellement acoustiques, exigent une fidélité à ce qui a été interprété : la musique classique, les musiques traditionnelles, le jazz acoustique, etc. Ces musiques exigent un respect de la dynamique sur support audio. Le mot important est ici fidélité. L’enjeu ne se sera pas le même pour des musiques plus « technologiques ».

 


Documents

Impossible d’illustrer ce billet avec des écoutes puisqu’elles seraient toutes le fruit d’une longue chaîne de modifications. Je vous propose donc des vidéos de YouTube extrêmement intéressantes.

How Vinyl Records Are Made PART 1 OF 2

Cette passionnante vidéo montre dans sa première partie la fabrication d’un « master record » ou flan à partir d’une âme d’aluminium recouverte sur chaque face d’une laque de nitrocellulose (« comme le vernis à ongles » dit le documentaire malheureusement en anglais).
La seconde partie montre la gravure du « master record ».

L’animation ci-dessus provient d’un site extérieur, il est possible que suivant les protections de votre ordinateur et de votre réseau vous ne puissiez pas la voir.
Utilisez, alors, ce lien direct :
http://www.youtube.com/watch?v=xUGRRUecBik

 

How Vinyl Records Are Made PART 2 OF 2

Ce sont les étapes de galvanoplastie et de pressage qui sont illustrées ici.

L’animation ci-dessus provient d’un site extérieur, il est possible que suivant les protections de votre ordinateur et de votre réseau vous ne puissiez pas la voir.
Utilisez, alors, ce lien direct :
http://www.youtube.com/watch?v=IReDh9ec_rk

 

Vinyl disc cutting at EBS, film by STS-Digital

Cette vidéo rappelle l’invention du disque par Emil Berliner et montre très bien l’importance de la maîtrise de la largeur du sillon (3:07) lors de la gravure.

L’animation ci-dessus provient d’un site extérieur, il est possible que suivant les protections de votre ordinateur et de votre réseau vous ne puissiez pas la voir.
Utilisez, alors, ce lien direct :
https://www.dailymotion.com/video/x2zozs0
http://www.emil-berliner-studios.com/en/geschichte.html

 


Conclusion : fidélité ou créativité ?

Pour résumer, l’enregistrement de musique sur un support nécessite une suite de traitements dont aucun n’est neutre. Parmi ces traitements, la compression est un passage technique obligé en analogique.

En fait, comme dans toutes les activités artistiques humaines et en particulier artistiques, ces contraintes obligatoires vont être détournées à des fins esthétiques et créatrices. C’est ce que nous verrons dans le prochain billet : Un élément de la réalisation artistique
https://blog.formations-musique.com/2009022341-compression-audio-part-3/

 


[1] Collectif sous la direction de Pierre-Louis DE NANTEUIL .
Dictionnaire encyclopédique du son
DUNOD, 2008, ISBN 978-2-10-005979-9