Quel « marché de la musique » ?
Le dimanche 18 janvier 2009 s’ouvrait à Cannes le MIDEM précédé de journées spécifiquement consacrées à Internet : MidemNet. Le MIDEM est évidemment l’occasion de faire le point sur le « marché de la musique ». « Marché de la musique » ? Quel « marché de la musique » ? C’est le sujet de ce billet, car suivant la source, on ne parle pas de la même chose.
MIDEM signifie ou plutôt signifiait « Marché International du Disque et de l’Édition Musicale » mais si vous allez sur le site de l’organisateur, Reed Exhibitions, la signification a changé : « QU’EST CE QUE LE MIDEM ? Le marché international de la musique ». Pourquoi ce glissement ? Pour Reed Exhibitions le MIDEM est le lieu et le moment où « les professionnels de tous les secteurs de la filière – disque, édition, spectacle vivant, musique à l’image, internet et téléphonie mobile – se réunissent pour détecter les nouvelles tendances et développer leurs activités. » L’explication est donc claire, l’ancien développé du sigle MIDEM ne prenait en compte que deux secteurs : le disque et l’édition musicale. Aujourd’hui il est indispensable d’avoir une vision globale et d’intégrer dans cette manifestation tous les secteurs.
Les choses sont donc claires et le problèmes réglé ? Que nenni !
Un des rendez-vous les plus attendus du MIDEM est la conférence du SNEP (Syndicat National de l’Édition Phonographique) qui s’est déroulée le lundi 19 janvier à 11 heures. C’est là que tombe les chiffres du « marché de la musique ». Ah, mais oui, mais non (une de mes expression favorites) ! Car ici, il s’agit spécifiquement et uniquement de l’industrie de la musique enregistrée ou du phonogramme, ce qui est beaucoup plus réducteur que le « marché de la musique » entendu au sens que lui donne le MIDEM. Du coup, les choses ne sont plus du tout claires. Elles vont être compliquées par le fait que ce « marché SNEP de la musique » est divisée en deux parties :
- le marché du disque ;
- le marché numérique dit de la musique numérique voire de la musique dématérialisée.
On retrouve ici une de mes, déjà, vieilles marottes (voir mon billet « Musique dématérialisée ? Quelle dématérialisation ?« . Grâce à ce billet je suis d’ailleurs 1er dans les résultats Google sur la recherche « musique dématérialisée »). Je ne reviens donc pas sur l’inanité et la fausseté de l’expression « musique dématérialisée ». Revenons, par contre, sur l’expression, « musique numérique ». Les utilisateurs de cette expression oublient un peu vite que depuis la commercialisation du CD-Audio en 1982 aux USA, la musique est forcément numérique sur ce support (idem pour le SACD).
Confusion, confusion…
Une rapide interrogation dans Google partie web ou dans la partie Actualités montrent l’étendue du problème. Voici quelques exemples parmi des dizaines d’autres :
Musique numérique : le marché français pèse 76 millions en 2008
nouvelobs.com – 20 jan 2009
Le marché français de la musique a enregistré sa sixième année consécutive de baisse en 2008. Le marché hexagonal de la musique a perdu 696 millions depuis …Musique numérique: le mirage de la gratuité
Tribune de Genève – 20 jan 2009
TENDANCE | Le Midem s’achève aujourd’hui à Cannes dans la morosité. Pourtant, l’industrie musicale a peut-être trouvé la parade contre les pirates. … Musique numérique: le mirage de la gratuitéMusique numérique : le marché légal décolle mais le piratage prospère
Vnunet.fr – 19 jan 2009
Selon l’Ifpi, les ventes de musique numérique ont progressé de 25% en 2008 mais le piratage est loin d’être résorbé. Alors que Midem bat son plein à Cannes, …Etc.
Alors pourquoi persister dans la confusion et l’ambiguïté ? Pourquoi tant de haine à l’égard d’une expression claire et univoque ? Le problème est réel et profond sinon il serait, me semble t-il, déjà réglé. Le terme le plus précis qu’il faudrait réhabiliter et utiliser est « phonogramme » (« fixation d’une séquence de son » : Article 213-1 L du Code de la Propriété Intellectuelle). Il est très peu employé. Il a sans doute un côté rétro qui le rapproche du mot « phonographe », la machine inventée par Thomas Edison en 1877 et destinée à lire des cylindres (pas des disques). C’est tellement vrai que la confusion entre ces deux mots : « phonogramme » et « phonographe » est fréquente chez mes étudiants. Peu d’espoir de ce côté.
Seraient plus précise les expressions : « musique enregistrée lié à un support dédié » et « musique enregistrée non lié à un support dédié ». Pas facile à placer dans la conversation, j’en conviens.
Le monde dans lequel nous vivons actuellement se caractérise par une grande confusion car complexe, instable et évoluant rapidement. Comme le dit Edgar Morin, grand penseur de la complexité : « La complexité est un mot problème et non un mot solution » (« Introduction à la pensé complexe », Points Seuil). Inutile d’ajouter de la confusion là où il est possible et assez facile de clarifier.
Entrée en scène du soniel
Alors ? Alors?
Alors je propose (de façon un peu prétentieuse, je le reconnais) un nouveau mot pour éviter toute ambiguïté : soniel.
Je dois avouer que cela fait des mois que je réfléchis au problème.
Définition du soniel : phonogramme sans support dédié (c’est ce que j’avais appelé dans un précédent billet des phonogrammes volatils car non liés à un support particulier).
Le mot est court.
La mot est facilement identifiable : la racine « son » est sans équivoque et « iel » rappelle l’origine numérique et informatique comme logiciel, courriel, etc.
Le soniel est forcément numérique mais n’a pas de format particulier. Il peut être au format, mp3, ogg, AAC, etc.
Ce que l’on échange sur une plateforme de P2P, ce sont des soniels.
Ce que l’on télécharge légalement sur iTunes Store, ce sont des soniels.
Test
Pour tester la pertinence de ma proposition, j’ai remplacé « musique numérique » par « soniel » dans cet article du 19 janvier du Nouvel Observateur qui donne les chiffres du « marché de la musique » (au sens du SNEP) :
Soniel : le marché français pèse 76 millions en 2008
Le marché français de la musique a enregistré sa sixième année consécutive de baisse en 2008. Le marché hexagonal de la musique a perdu 696 millions depuis 2002, a annoncé le Snep, le principal syndicat de producteurs français, lors de la présentation de son bilan annuel au Midem à Cannes.
La bonne nouvelle de l’année est à chercher du côté des ventes de soniels qui ont bondi de 49% en 2008, pour un total de 76 millions d’euros. Dans le détail, le téléchargement payant a généré 24 millions d’euros en 2008 (+32% par rapport à 2007), les ventes sur mobile 35 millions d’euros (+46%), le streaming et les abonnements (internet et mobile) 17 millions d’euros (+22%).
En quatre ans, les ventes de soniels ont été multipliées par près de dix en valeur, passant de 8,5 millions d’euros de revenus en 2004 à 76 millions d’euros en 2008.
Mais cette croissance ne suffit pas pour endiguer l’effondrement des ventes de CD. Entre 2007 et 2008, le marché de gros hors taxes de la musique en France (vente des maisons de disques aux magasins) a baissé de 107 millions d’euros (-15%) pour atteindre 606 millions. Une baisse due à la chute des ventes de CD et DVD (-19,9 % en valeur, soit -132 millions d’euros), qui ont atteint 530 millions d’euros en 2008.
Lumineux ? N’est-il pas ?