L’histoire des musiques actuelles en France c’est l’histoire d’une reconnaissance. D’une reconnaissance par l’État et les institutions de pratiques musicales et d’acteurs qu’ils avaient jusqu’alors délaissés et la contrepartie – classique en France – la demande d’aide de la part de ces acteurs.

Photo  (CC BY 2.0) – Auteur Charlotta Wasteson

Cet article ne se veut pas autre chose qu’un aide mémoire de quelques dates importantes dans « l’émergence » des musiques dites actuelles en France. L’article n’est donc pas exhaustif et ne se donne pas comme objectif de donner une impossible définition. Il y a sûrement des oublis puisque ce n’est pas exhaustif. Je suis plus préoccupé par les erreurs. N’hésitez pas à me les signaler.

Rappelons en préambule que les musiques actuelles ne sont pas une esthétique ou un courant musical. Elles ne sont pas une classe de la PCDM4 pour parler discothécaires. Vous ne trouverez pas de rayons « Musiques actuelles » dans un magasin FNAC ou sur le site d’Amazon.

Si l’expression est aujourd’hui bien connue des professionnels, ce n’est pas le cas du grand public. Exemple d’une conférence que j’ai animé récemment à la BM de Cherbourg – évolution du son dans les musiques actuelles – où une partie du public n’avait pas compris de quoi j’allais parler.

Aujourd’hui pour le ministère la définition est claire, sont musiques actuelles toutes les musiques qui ne sont pas dans la musique savante occidentale ; « classique » pour aller vite ce qui inclut le contemporain. On voit immédiatement la difficulté puisque la définition du ministère inclut : jazz, rock, rap, chanson francophone, musiques du monde, traditionnelles, etc.

Historiquement et sur le terrain cela n’a pas été et ce n’est toujours pas la même « chanson ». Pour ne prendre qu’un exemple : en 1983 a été créée une Commission consultative pour le jazz et en 1986 l’ONJ, l’Orchestre National de Jazz. On ne parlait pas encore de musiques actuelles. Imagine t-on un Orchestre National des Musiques Actuelles ? Un Orchestre National de Rock ? Ou soyons fou, un Orchestre National de Punk ?

Quelques dates dans les musiques actuelles

1954

Naissance du rock aux USA et origine des musiques actuelles.
Toutes les dates sont discutables, celle-ci comme les autres mais deux événements font qu’il y a un large consensus :

12 avril 1954, enregistrement de Rock Around the Clock par Bill Haley and his Comets. C’est ce titre qui va faire connaître le rock ‘n’ roll au monde entier par l’intermédiaire du film Blackboard Jungle, Richard Brooks, 1955 (Graine de violence).

5 juillet 1954, enregistrement du 1er disque commercial d’Elvis Presley. Il a 19 ans. Il va être le premier jeune qui chante pour les jeunes en étant responsable de son répertoire. Il devient ainsi le 1er héros d’une classe d’âge qui, parce qu’elle en a les moyens économiques, va réaliser en partie son désir d’autonomie : les teenagers.

1958

Premier artistes « sincères » en France : Claude Piron, Danyel Gérard, Richard Anthony. Ce sont des jeunes enregistrant pour les jeunes, ils ne sont pas sur le registre de la parodie, il n’y a pas d’arrière pensée. C’est une tentative de reproduire le modèle américain. On peut considérer cette date comme la naissance du rock en France même s’il y a eu avant des disques de rock : Mac-Kac, Magali Noël, Henri Salvador, etc.

Ils ne sont qu’interprètes, reprenant des titres originaux américains (avec paroles en français, très souvent Boris Vian) ou interprétant des titres originaux français mais écrits par des auteurs appartenant à une autre classe d’âge (encore Boris Vian). Ils ne sont ni auteurs, ni compositeurs. Ils sont chanteurs solistes sans groupe attaché. On parle de vedettes.

1960

1er disque de Johnny Hallyday chez Vogue.

Les « Chausettes noires » signent un contrat d’enregistrement chez Barclay (sans savoir d’ailleurs que ce sera leur nom).

1962

Lancement du magazine « Salut les Copains »

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Source photo : http://www.videosixties.fr/2012/11/salut-les-copains-le-1er-numero-du.html

1963

Le samedi 22 juin 1963, afin de célébrer le premier anniversaire du magazine « Salut les Copains », Daniel Filipacchi organise sous l’égide d’Europe n°1 un concert gratuit Place de la Nation, à Paris. Sont présents : Johnny Hallyday, Richard Anthony, Sylvie Vartan, Les Chats Sauvages, Frank Alamo, Danyel Gérard. Le soir de l’événement, 150 000 jeunes sont présents. C’est la découverte brutale par les adultes d’une nouvelle classe d’âge. C’est la fin du rock et le début des yé-yés. C’est Edgar Morin qui invente ce mot dans deux célèbres articles du Monde :

La nouvelle classe adolescente apparaît comme un microcosme de la société toute entière ; elle porte déjà en elle les valeurs de la civilisation en développement : la consommation, la jouissance, et elle apporte à cette civilisation sa valeur propre : la jeunesse. [1]

On est passé de la danse rock au twist (voir couverture 1er numéro de Salut les Copains): une danse où l’on danse sans se toucher donc plus acceptable que le rock.

Fondamentalement cela ne change pas le système sur lequel repose la variété française : séparation entre auteur, compositeur, musiciens de studio. On parle d’idoles qui n’ont pas un grand contrôle sur leur carrière

1966

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Photo Jean-Marie Périer

Publication de la photo célèbre de Jean Marie Périer pour « Salut les Copains ». Mais c’est un chant du cygne ; fin des yé-yés et début de la pop musique. Des artistes comme Antoine, Jacques Dutronc, Nino Ferrer, Michel Polnareff change le modèle qui est plus celui des Beatles (ACI auteur compositeur interprète) que celui de l’interprète. Ces artistes imposent leurs choix contrairement aux yéyés.

 Source vidéo : http://www.videosixties.fr/2013/04/salut-les-copains-la-photo-du-siecle.html
Le mur de Salut les copains

Premier numéro de Rock & Folk.

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Les disques étrangers commencent à être distribués en France. Le public a accès aux enregistrements originaux, il y a donc moins d’intérêt à reprendre des titres étrangers.

1968

Explosion d’artistes autour de la structure groupe : Triangle, Variations, Magma, Alan Jack Civilization, Martin Circus, Zoo, Gérard Manset, Brigitte Fontaine, Catherine Ribeiro et Alpes, Heldon, Ange, Dashiell Hedayat, Gong, Agitation Free, Atoll, Zoo, etc. Malgré quelques succès critiques, ces groupes ne parviennent pas à une large reconnaissance publique.

On parle de contre culture, apparition des premiers fanzines.

1970

Naissance du magazine Actuel (en fait, c’est la 2e version, sous la direction de Jean-François Bizot).

1976-1977

Explosion du mouvement punk. Cette fois, la France est en phase avec les autres pays.
First European Punck Rock Festival, le 21 août 1976 à Mont de Marsan. [2]

Création du festival Le Printemps de Bourges.

Le Printemps de Bourges doit devenir, pour tous ceux qui s’intéressent à la chanson, un lieu de création, d’expression et de confrontation sur la chanson d’aujourd’hui.

C’est par cette phrase que Daniel Colling et l’association « Écoute S’il Pleut » présente un nouveau  concept : un festival de chanson, en plein cœur d’une ville moyenne de province, et qui doit se dérouler pendant les vacances de Pâques.

1978

A Rennes, le groupe Marquis de Sade enregistre son 1er 45 tours (« Air Tight Cell, Henry ») au cinéma le Studio à Rennes, sur un quatre pistes amené par Frédéric Renaud (1952-2013). Le 45 tours sort le 21 juin 1978 sur le label Terrapin (association qui va créer les Transmusicales de Rennes).

1979

14 et 15 juin 1979 : première édition des Trans Musicales de Rennes.

Affiche Trans Musicales 1979

Source image : http://www.memoires-de-trans.com/annee/1979/
Auteur de l’affiche : Pierre Fablet

Enregistrement pendant l’été au Studio DB du 1er album de Marquis de Sade.

1979-1980

Énorme succès commercial de Trust et Téléphone. Le rock devient grand public. Mais pas de reconnaissance institutionnelle.

1981

Élection de François Mitterrand à la présidence de la République.
Jack Lang est nommé Ministre de la Culture.

1984

Un rapport réalisé au SER (Service Etudes et Recherche du Ministère de la Culture) par Jean-Michel Lucas [3] pointe la faible représentativité du rock et des musiques actuelles dans les politiques culturelles rennaises et « l’incapacité de comprendre le rock comme élément de la culture universelle ». Il s’agit probablement du 1er rapport officiel sur la question. Sans le dire, les musiques actuelles sont en marche.

C’est dans la préface écrite par Jack Lang d’un guide  [4]  sur les lieux de répétition que va faire son apparition un nombre qui va beaucoup être utilisé : 25 000 groupes de rock sur l’ensemble du territoire. Avec leur public cela fait beaucoup d’électeurs.

En octobre 1984, au Forum Culturel de Montpellier, les « gens du rock » se rencontrent pour la première fois « tous ensemble, essayant de faire progresser le métier, avec une certaine idée de l’intérêt général de la profession ». Création de Réseau Rocks et début d’une fédération des acteurs.   [5]

C’est un début de reconnaissance.

1986

Création du Centre D’information du Rock et des Variétés (CIR) est créé en 1986 à l’initiative du « Réseau Rocks ». Parmi les fondateurs : Gilles Castagnac, Maurice Lidou, Bruno Lion.

1989

Ouverture de la 1e session de formation longue « Manager du Monde de la Musique » à Issoudun. [6]
Le mot clef est « professionnalisation ». Pour être reconnu, il faut être professionnel.

1993

Ouvert en mars 1993 – au cœur de la ville d’Agen dans un ancien cinéma music hall des années trente – Le Florida est le premier complexe musical entièrement conçu pour les musiques amplifiées (on ne parle pas encore de musiques actuelles) : une salle de concerts (salle de diffusion de 700 places), une structure de répétitions musicales (5 studios de répétition et enregistrement dont un studio MIDI – MAO), un espace de convivialité organisé autour d’un bar, des locaux d’accueil, des locaux pour les artistes et les musiciens (loges) et un pôle administratif. C’est sur ce modèle que la plupart des scènes de musiques actuelles vont se construire.

Florida Agen
AGEN/FLORIDA LE 28/02/1993 – DELPORTE LUCIEN ( AGEN )

1994

Création de l’IRMA qui regroupe le CIJ (Centre d’information du jazz), le CIMT (Centre d’information des musiques traditionnelles et du monde), le CIR (Centre d’information rock, chanson, hip-hop, musiques électroniques). [7]

 1995

Agen Le Florida, octobre 1995. Plus de trois cent cinquante personnes participent aux premières rencontres nationales « Politiques publiques & musiques amplifiées »,

Lors de la clôture des rencontres nationales `Politiques publiques et musiques amplifiées’, le 20 octobre 1995, en reconnaissant, très officiellement et sans restriction, l’appartenance des musiques amplifiées au domaine culturel et artistique, le ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy, a fondé pour l’Etat comme pour les collectivités territoriales, les principes d’un engagement aussi volontariste que pour les autres expressions artistiques du spectacle vivant (théâtre, musique classique…). Cette déclaration historique s’inscrit dans un processus de prise en compte progressive du champ des musiques amplifiées par la puissance publique.  [8]

Philippe Berthelot, à l’époque directeur du Florida d’Agen

 1997

Madame Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication le 7 décembre 1997 aux Transmusicales de Rennes annonce la création de la Commission nationale des musiques actuelles et la nomination de son président.

1998

Réception du rapport de la Commission nationale des musiques actuelles.

Communiqué de Madame Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, lundi 19 octobre 1998

« Ce terme regroupe l’ensemble des esthétiques populaires et nouvelles : jazz, chanson, rock, rap, techno, mais il englobe aussi les musiques traditionnelles. Le ministère de la culture doit prendre en compte la diversité des formes musicales. Il faut cesser d’opposer la musique savante à la musique populaire. Le moment est venu de reconnaître l’importance des musiques actuelles qui, jusqu’à maintenant, n’étaient pas, ou étaient insuffisamment prises en compte, dans les politiques publiques. On doit à cet égard relever que le terme de « reconnaissance » (c’est moi qui souligne) est un des mots clé qui court tout au long du rapport. Et ce mot, je le fais mien. » [9]

Tout est dit, c’est la reconnaissance mais de toutes les musiques et dans le même sac. La commission s’est interrogé sur la définition du terme « musiques actuelles » et n’a pas trouvé de définition adéquate.

Après la circulaire du 7 juillet 1996, la circulaire du 18 août 1998 va mettre en place les SMAC (scènes de musiques actuelles). C’est un dispositif toujours d’actualité.

OBJET : Soutien apporté par l’Etat aux Scènes de Musiques Actuelles.
Les musiques actuelles constituent dans notre pays un espace de création ouvert à un large public, notamment aux jeunes. Leur reconnaissance pleine et entière s’impose aujourd’hui comme une nécessité, … [10]

1er et 2 octobre 1998 : 2e rencontres nationales : politique publiques et musiques amplifiées/actuelles. Ces deuxièmes rencontres nationales Politiques publiques et musiques amplifiées/actuelles ont été proposées par la Ville de Nantes et la Fédurok (Fédération de lieux de musiques amplifiées/actuelles), avec le partenariat du ministère de la Culture et de la Communication. On hésite encore entre musiques amplifiées et actuelles.

Début des années 2000

Création d’un CA Musiques Actuelles
Création d’un DE Musiques Actuelles

2006

L’œuvre de Jimi Hendrix : « Purple Haze » (version originale et arrangement pour quatuor à cordes de Steve Riffkin pour le quatuor Kronos) est au programme du bac 2006.

2006-2011

Création du Conseil Supérieur des Musiques Actuelles (CSMA). [11]

2011

Dissolution du CSMA. [12]


Notes

[1]  MORIN Edgar. Sociologie Seuil 1994 (reprise des deux articles du Monde de 1963)
http://www.iiac.cnrs.fr/CentreEdgarMorin/spip.php?article364

[2]  http://julie.editions.free.fr/montdemarsanpunk.html

[3]  Lucas Jean-Michel, Rock et politique culturelle : l’exemple de Rennes 1976-1983, Rapport au Premier ministre, 1984.
Disponible au Centre de documentation de l’IRMA (Côte : M 52)
Merci à Florence de l’IRMA qui me l’a scanné tout exprès.

[4]  Jack Lang, in « Préface », Maxi-rock Mini-bruits, lieux de répétition : des solutions, un guide, Cénam, 1984.

[5]  http://www.irma.asso.fr/20-ANS-D-OFFICIEL-DE-LA-MUSIQUE20

[6]   http://www.lfissoudun.org/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=34&Itemid=55

[7]   http://www.irma.asso.fr/IMG/pdf/DP10ans_Page06.pdf

[8]  De la nécessaire structuration globale du champ des musiques amplifiées, Actes des rencontres Page 123
http://www.irma.asso.fr/IMG/pdf/PolitiquesPubliquesMA95Agen-2.pdf

[9]  Programme d’action et de développement en faveur des musiques actuelles – Lundi 19 octobre 1998
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/prog-mus-actu.htm
Commission nationale des Musiques actuelles
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/musiques-actuelles/rapport1998.pdf 

[10]   http://www.culture.gouv.fr/champagne-ardenne/pdf/circulaire_smac.pdf
ou http://mediatheque.cite-musique.fr/mediacomposite/cim/_Pdf/70_20_04_SMAC.pdf

[11]   http://www.csma-info.fr/

[12]   http://www.irma.asso.fr/Dissolution-du-CSMA-les


Bibliographie

BRANDL Emmanuel
L’AMBIVALENCE DU ROCK: ENTRE SUBVERSION ET SUBVENTION
Une enquête sur l’institutionnalisation des musiques populaires
Logiques sociales – Sociologie des Arts – BEAUX ARTS MUSIQUE, CHANSON SOCIOLOGIE France, L’Harmattan 2009

BRAULT Christophe
1978-1988 – Dix ans de rock Rennais, auto-édition, 1988

BRILLIE Michel/GAUFFRE Christian
L’aventure Salut les copains. Éditions du Layeur, 2009

DE NOBLET Jocelyn (sous la direction)
Histoire de la Pop Music, Albin Michel,  1967

GUIBERT Gérôme
La production de la culture. Le cas des musiques amplifiées en France, Éditions Seteun, 2006

LE GUERN Philippe
« En arrière la musique ! sociologies des musiques populaires en france », Réseaux 2/ 2007 (n° 141-142) , p. 15-45 .
URL : www.cairn.info/revue-reseaux-2007-2-page-15.htm
DOI : 10.3166/réseaux.141-142.15-45

LEMBRÉ Mélanie
Proximité et décloisonnements : la Maison des Jeunes et de la Culture Antipode
Cleunay, scène de musiques actuelles en quartier
Mémoire Sciences Po – Section service Public, 2009
https://iepweb.sciencespo-rennes.fr/bibli_doc/download/234/

LUCAS Jean-Michel
Rock et politique culturelle : l’exemple de Rennes 1976-1983, Rapport au Premier ministre, 1984.
Disponible au Centre de documentation de l’IRMA (Côte : M 52)

MIGNON Patrick /HENNION Antoine dirigé par
Rock : de l’histoire au mythe Collection Vibrations Anthropos 1991

MORIN Edgar
Sociologie Seuil 1994 (reprise des deux articles du Monde en 1963)
http://www.iiac.cnrs.fr/CentreEdgarMorin/spip.php?article364

VICTOR Christian/REGOLI Julien
Vingt ans de Rock français, Collection : Rock & folk, Éditions Albin Michel, 1978

TEILLET Philippe
« Le discours culturel et le rock. L’expérience des limites de la politique culturelle de l’Etat ». Thèse de Doctorat en Science Politique présentée en février 1992 à l’Université de Rennes I. Disponible au CRD (M 31).

TEILLET Philippe
« Éléments pour une histoire des politiques publiques en faveur des « musiques amplifiées »», dans Ph.
Poirrier (dir.), Les collectivités locales et la culture. Les formes de l’institutionnalisation, XIXè et XXè siècles, Paris,
Comité d’Histoire de Ministère de la Culture, La Documentation Française, 2002, p. 361-393